lundi, novembre 07, 2011

Chewing-Gum

 J'ai commencé à aimer l'écriture à l'âge de 18ans. Tout m'inspirait: le bonheur, la tristesse, la solitude, l'amour, le temps, la censure, la répression, la mort... J'aimais déguiser mes mots, les colorer, les disposer dans un désordre intentionnel que seuls les incompris comprenaient. Je les ai jetés sur un écran, dès 2005,  pour leur faire des amis et leur donner une forme, des yeux et une voix.
Au fil des années, mes mots s'étouffaient et avaient commencé à se faire rares pour laisser la place à la parole, à l'humour, au bavardage et à mon manque d'imagination et d'inspiration.
Mon dernier opus date de 2010. La Révolution de 2011.

La Révolution a eu sur moi un effet opposé à la logorrhée que j'ai constatée chez mes semblables. La Révolution a inhibé ma plume, et s'est simultanément accompagnée d'une déferlante imagination standard sur la toile de la blogosphère et des médias.
Depuis Décembre 2010, le même champ lexical circule, les mêmes idées pseudo-contradictoires sont véhiculées menant pourtant vers une même pensée.

Nous sommes dans l'ère des mots révolutionnaires chewing-gum.

Je m'attendais pourtant à ce que l'Art fleurisse et à ce que les mots s'épanouissent. Seul le talent des caricaturistes a réussi à m'impressionner. Je ne suis pas exigeante, mais je pense que l'art est encore prisonnier de notre Histoire.
L'action s'est faite rare et les discours assourdissants.

Pendant qu'une majorité cherche à obtenir les excuses de ceux qui ont soutenu la dictature ou la punition ou l'oubli, nous ne prenons pas le temps d'obtenir de nous pardonner à nous mêmes. Nous nous sommes réveillés, lavés de tout péché, et avons naturellement pointé du doigt les autres et nous sommes proclamés Héros.

La solidarité a rarement été un choix, plutôt une obligation contextuelle et phraséologique, une adhésion obligatoire aux pensées de l'autre plus fort, plus insultant, et sans égard pour son propre passé coupable.
Si les Tunisiens ont enfin réussi à cocher des cases différentes le 23 octobre,  ils n'en restent pas moins demandeurs d'une thérapie qui les sortirait des sphères dictatoriales.

La Révolution est pour l'instant poussée, portée et criée par les opportunistes. Au lieu de la soutenir, chacun l'a détournée pour en devenir le héros, sans décence, sans Méa Culpa.
Par nos mots, nous tuons la Révolution.

Je me suis tue malgré un pré-Ben Ali dont je n'ai pas honte, un post-Ben Ali à la fois heureux et consternant. Je n'ai pas de mérite, je suis citoyenne et j'agis dans ce rôle totalement humain sans une once de super héroïsme opportuniste, je n'ai pas de leçon à donner. Je profite de la Révolution en citoyenne sans ambition personnelle , je partage l'enthousiasme, le cynisme humoristique, l'excitation sincère de mes concitoyens et même parfois le dictionnaire chewing-gum.